Quand la culture influence la manière de performer

La performance sportive est souvent présentée comme le résultat d’un entraînement rigoureux, d’une bonne préparation mentale et d’une motivation solide, mais un élément tout aussi déterminant reste largement sous-estimé : le background culturel et familial du jeune athlète.

L’environnement familial : les fondements de la personnalité

L’environnement dans lequel un enfant grandit façonne sa manière de comprendre l’effort, d’affronter le stress, d’exprimer ses émotions et d’entrer en relation avec l’autorité. Ces influences, souvent invisibles, orientent sa posture sur le terrain et sa manière d’interpréter la réussite ou l’échec.

Dès l’enfance, la manière dont il est entouré, encouragé ou freiné, influence son rapport à l’effort, à la difficulté et à l’autorité. Comprendre ces bases permet d’expliquer bien des comportements observés plus tard sur le terrain.

Les travaux issus de la clinique systémique montrent que la place occupée dans la famille façonne largement la posture de l’enfant. L’aîné adopte souvent un rôle exemplaire qui peut le pousser vers le perfectionnisme (souvent plus responsabilisé, plus affirmé. Tandis que le cadet développe souvent une attitude de conquête pour exister au sein de la fratrie. Certains adoptent un rôle de médiateur, apprenant très tôt à éviter les conflits, ce qui peut ensuite réduire leur capacité à s’affirmer face à un entraîneur ou à des coéquipiers. Le plus petit de la famille, quant à lui, a souvent été davantage protégé ou assisté, ce qui peut renforcer un style plus dépendant des autres ou une difficulté à tolérer la frustration (Duret, I. 2025).

La qualité de l’attachement joue également un rôle central. Un enfant élevé dans un climat stable tolère mieux l’erreur et rebondit plus facilement après un échec. À l’inverse, un environnement marqué par l’instabilité, la critique ou l’imprévisibilité renforce la sensibilité à la pression et au jugement. Sur le terrain, cela peut se traduire par de la retenue, un manque d’initiative ou un surcontrôle dans les moments clés.

Dans l’accompagnement, on observe souvent que certaines réactions apparemment irrationnelles prennent tout leur sens lorsqu’on replace l’athlète dans son contexte familial. Peur de décevoir, besoin d’être parfait, difficulté à dire non, tendance à prendre tout sur soi : autant de dynamiques qui trouvent souvent leurs racines dans les premières années de vie.

En résumé, l’environnement familial ne détermine pas tout, mais il installe les premiers schémas relationnels et émotionnels qui influenceront la manière d’être athlète. Le comprendre permet d’accompagner plus finement et de mieux ajuster les attentes, les consignes et le soutien apporté.

Reconnaître ce background culturel n’a rien d’un jugement, c’est une façon d’éclairer des comportements qui ne sont jamais aléatoires. L’athlète arrive toujours avec une histoire qui continue de vivre en lui.

Les événements de vie : quand l’histoire personnelle façonne la disponibilité mentale

Les événements de vie marquent profondément la manière dont un jeune athlète se rend disponible à l’entraînement et à la compétition. Ils modèlent la capacité à se concentrer, à gérer la pression et à maintenir la motivation lors de sa performance.

Les recherches en neuropsychologie du développement montrent qu’un enfant exposé à des transitions importantes comme un divorce, un déménagement, un conflit parental ou un deuil, construit des stratégies émotionnelles spécifiques pour rester stable dans un environnement instable (Schore, 2001 ; Siegel, 2012). Ces stratégies, utiles à un moment donné, peuvent ensuite réapparaître dans la pratique sportive.

Un jeune confronté à des tensions familiales peut par exemple développer une hypervigilance qui le pousse à analyser constamment les réactions des autres. Sur un terrain, cela peut se traduire par une peur de décevoir ou par une difficulté à prendre des risques, car l’erreur active le même système d’alarme que dans son environnement familial. D’autres enfants vont plutôt se couper de leurs émotions pour « tenir le coup » et apparaître très calmes en surface, mais cette distance intérieure peut limiter la connexion au jeu ou au collectif (Fonagy et al., 2002).

Les émotions liées à ces événements de vie influencent également la motivation. Les travaux sur l’adaptation au stress chez l’enfant montrent qu’un jeune ayant vécu un bouleversement majeur peut osciller entre surinvestissement pour se prouver qu’il tient le coup et chute d’énergie quand le système stress se fatigue (Compas et al., 2001). Le sport devient soit un refuge, soit une source supplémentaire de pression selon la manière dont l’enfant se sent soutenu.

Cultures individualistes et collectivistes: une logique qui peut influencer la performance 

Les cultures façonnent la manière dont un jeune perçoit l’effort, la réussite et sa place dans un collectif. Les travaux fondateurs de Markus et Kitayama (1991) montrent que l’identité se construit différemment selon que l’on grandit dans un environnement individualiste ou collectiviste. Ces différences sont discrètes mais déterminantes dans le contexte sportif.

Dans les cultures individualistes, souvent présentes en Europe occidentale ou en Amérique du Nord, l’accent est mis sur l’autonomie, l’expression de soi et la réussite visible. Ces jeunes sont plus sensibles à l’évaluation extérieure et peuvent ressentir une forte pression autour des résultats. Lorsqu’on leur propose un rôle collectif moins valorisé, certains peuvent y voir une dévalorisation ou un manque de reconnaissance. Le sport devient alors un espace où la performance personnelle occupe une place centrale.

À l’inverse, dans les cultures collectivistes, présentes notamment en Asie, en Afrique, au Moyen-Orient ou dans certaines diasporas, la priorité est donnée au groupe, au respect et à la discrétion. Les jeunes issus de ces environnements montrent souvent une loyauté forte envers l’équipe et une réticence à se mettre en avant. Leur rapport à l’autorité, plus hiérarchique, peut être mal interprété par un coach habitué à encourager l’initiative individuelle. Comme le montrent les travaux ethnopsychiatriques (Devereux, 2001 ; Moro, 2015), un comportement n’a de sens que replacé dans ses normes culturelles : éviter le regard peut être perçu comme un manque de motivation, nonchalance alors qu’il s’agit, dans certains contextes, d’un signe de respect.

Pourquoi cette approche est-elle essentielle dans l’accompagnement psychologique?

Chez Au Mental, comprendre l’histoire familiale et culturelle d’un jeune: c’est donner du sens. Un parent exigeant ne met pas forcément de pression : il peut transmettre un modèle où l’effort est une preuve d’amour. Un jeune en retrait n’est pas démotivé : il peut venir d’une culture où l’expression émotionnelle est contenue. Un enfant anxieux après un divorce n’est pas fragile : il se réorganise psychiquement.

Le travail psychologique consiste à :

  • identifier les racines des comportements,
  • créer un climat motivationnel adapté,
  • renforcer l’autonomie, la compétence et l’appartenance (Deci & Ryan),
  • aider l’enfant et la famille à stabiliser leurs modes de communication.

Un regard global sur l’environnement sportif

Au fond, accompagner un athlète, c’est comprendre qu’il ne vient jamais seul : il arrive avec sa famille, sa culture, sa langue, son histoire et ses épreuves, et c’est en reconnaissant ces racines, visibles et invisibles, que l’on peut réellement l’aider à construire une performance durable, alignée, et pleinement à son image. 

La conclusion essentielle est que la performance sportive n’est jamais déconnectée de la vie personnelle. Un athlète ne laisse pas ses émotions au vestiaire. Comprendre ce que traverse un jeune, c’est ajuster la manière de l’accompagner, respecter son rythme et créer un cadre suffisamment stable pour qu’il puisse transformer ses événements de vie en force. 

Avec cet article, nous arrivons au terme de notre série consacrée à l’environnement de l’athlète: un voyage qui nous aura menés de l’équilibre école-sport à la relation avec le coach, en passant par l’impact des réseaux sociaux et, aujourd’hui, les racines familiales et culturelles qui façonnent chaque jeune. Si ce thème vous intéresse, nous vous invitons vivement à parcourir les autres articles de la série et les podcasts, qui se complètent et offrent une vision globale, nuancée et essentielle pour comprendre comment un athlète se construit, s’épanouit… et performe.


Références bibliographiques

  • Bowlby, J. (1988). A secure base: Parent-child attachment and healthy human development. Basic Books.
  • Compas, B. E., Connor-Smith, J. K., Saltzman, H., Thomsen, A. H., & Wadsworth, M. E. (2001). Coping with stress during childhood and adolescence. Psychological Bulletin, 127(1), 87–127.
  • Cyrulnik, B. (2001). Les vilains petits canards. Odile Jacob.
  • Deci, E. L., & Ryan, R. M. (2000). The “what” and “why” of goal pursuits. Psychological Inquiry, 11(4), 227–268.
  • Devereux, G. (2001). Essais d’ethnopsychiatrie générale. Gallimard.
  • Fonagy, P., Gergely, G., Jurist, E., & Target, M. (2002). Affect regulation, mentalization, and the development of the self. Other Press.
  • Luthar, S. S. (2006). Resilience in development. In Handbook of child psychology (pp. 739–795).
  • Markus, H. R., & Kitayama, S. (1991). Culture and the self. Psychological Review, 98(2), 224–253.
  • Moro, M.-R. (2015). Nos enfants demain. Odile Jacob.
  • Schore, A. N. (2001). Effects of early relational trauma. Infant Mental Health Journal, 22(1–2), 201–269.
  • Siegel, D. J. (2012). The developing mind (2nd ed.). Guilford Press.
  • Duret, I. (2025). Travaux en systémique et clinique familiale. La peur de transmettre. Éditions Odile Jacob.

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