Le paradoxe de la confiance en soi

Dans le sport, on répète souvent que la confiance en soi est «la clé». On valorise l’athlète sûr de lui, solide, serein, capable d’entrer dans la compétition avec certitude et détermination. Mais la réalité est plus nuancée : la confiance est une ressource mentale paradoxale.

-Trop faible, elle paralyse. Trop forte, elle fragilise. Bien calibrée, elle propulse.-

Entre confiance, ego, doute et résilience, les champions ne deviennent pas champions parce qu’ils croient aveuglément en eux, mais parce qu’ils apprennent à maîtriser ce paradoxe et a trouver leur équilibre.

L’illusion d’une confiance parfaite

Les modèles de Bandura (auto-efficacité), de Vealey (sport-confidence) ou encore les travaux de Martens sur l’anxiété de performance montrent tous la même réalité : ce n’est pas la quantité de confiance qui prédit la performance, mais la qualité de cette confiance.

Une confiance ajustée (ni trop basse, ni trop élevée) améliore la gestion de l’anxiété, facilite la concentration sur les éléments vraiment pertinents, accélère l’adaptation durant l’action et soutient une mobilisation physique optimale. En d’autres termes, elle crée les conditions nécessaires pour performer, sans surcharger inutilement le système émotionnel.

Mais lorsque cette confiance bascule vers la surconfiance, les mécanismes cognitifs changent radicalement. L’athlète analyse moins finement ce qui se passe autour de lui, sous-estime les risques, néglige des détails techniques normalement automatisés et développe des illusions de contrôle. Il croit « sentir » au lieu d’évaluer. Il décide plus vite, mais souvent moins bien (Vealey, R. S. 1986; Bandura, A. 1997;Cleary, T. J., & Zimmerman, B. J. 2001).

Les recherches montrent que:

  • Trop peu de confiance, et l’athlète doute, se crispe, hésite.
  • Trop de confiance, et il se relâche, ignore les signaux faibles, se croit à l’abri du contretemps.
  • Entre les deux se situe la zone optimale, celle où l’athlète se sent capable sans se croire intouchable, concentré sans être anxieux, vigilant sans être méfiant. C’est dans cet espace mental que les performances sont les plus stables et durables.

« J’ai raté plus de 9000 tirs dans ma carrière. J’ai perdu presque 300 matchs. 26 fois, on m’a fait confiance pour prendre le tir gagnant… et je l’ai raté. J’ai échoué encore et encore dans ma vie — et c’est pour cela que je réussis. » Michael Jordan

Prenons un exemple concret, typique du terrain :
Lucas, 17 ans, attaquant au football, traverse une excellente série: six buts en quatre matchs. Très vite, son discours change: «Je suis en feu, je vais encore marquer.» L’entraîneur note qu’il s’échauffe moins consciencieusement, saute certains exercices techniques et commence à forcer des actions difficiles.

Lors du match suivant, Lucas tente des frappes impossibles, néglige ses déplacements sans ballon et ignore un défenseur qui monte sur lui. Résultat: performance en dessous, frustration et incompréhension. Pourtant, rien n’a changé… Il n’a pas perdu ses compétences : il a perdu sa vigilance. Ce qui lui permettait de marquer càd la lucidité, la précision, l’ajustement, s’est dissous dans la croyance qu’il «pouvait tout faire». Ce cas illustre parfaitement le paradoxe de la confiance: une confiance excessive met en danger.

Pour aider Lucas à retrouver son niveau, il a fallu revenir à la base: se reconnecter avec les indices techniques, analyser les courses adverses, affiner la préparation mentale. Autrement dit: travailler l’ego pour revenir à l’exigence. C’est précisément là que se situe le cœur de la psychologie du sport : aider l’athlète à rester dans sa zone optimale, cet espace où la confiance nourrit l’action sans l’aveugler.

L’ego sportif

La surconfiance n’est pas seulement une croyance exagérée : elle touche directement à l’ego du sportif, cette représentation que l’athlète se fait de lui-même et de sa valeur.
L’ego n’est pas négatif en soi. Il peut même devenir un outil de puissance : affirmation, audace, combativité… Cependant, lorsqu’il prend trop de place, l’ego crée des distorsions qui fragilisent la performance. Certains champions comme Bolt, Ibrahimović, McGregor, l’utilisent comme une arme psychologique. Ces champions ont pris le temps d’apprendre à se connaître parfaitement. De plus, ils ont compris une règle essentielle : l’ego doit être maîtrisé, jamais laissé en pilotage automatique (Roberts et al. 2007).

1. Baisse de vigilance

L’athlète commence à croire qu’il est «au-dessus» du danger ou du défi. Il évalue moins finement la situation, et réduit son attention aux signaux faibles. Ce relâchement n’est pas volontaire : il découle de l’illusion qu’il est « naturellement capable ».

2. Sous-préparation

Porté par ses réussites passées, l’athlète s’appuie davantage sur son talent que sur son exigence. L’entraînement de précision devient secondaire, et la performance repose de plus en plus sur l’instinct, jusqu’au moment où l’instinct n’est plus suffisant.

3. Illusion de contrôle

L’athlète persuadé qu’il peut «tout gérer» sans adaptation réelle. Il n’ajuste plus sa stratégie, surestime sa capacité à improviser et minimise les difficultés. Par conséquent, après une succession de succès, le cerveau renforce la croyance « je peux y arriver quoi qu’il arrive ». C’est utile… jusqu’au moment où la réalité ne suit plus. 

Ce système devient explosif lorsqu’un imprévu survient. Parce que l’athlète surconfiant n’a plus l’habitude de douter, la chute est brutale : perte de repères, incompréhension, rigidité, voire panique.
Le paradoxe apparaît ici avec force: celui qui semblait indestructible est parfois le plus vulnérable. Le talent ne disparaît pas, mais l’ego non régulé empêche l’ajustement et c’est là que la performance s’effondre.

« Une des clés importantes du succès est la confiance en soi. Et une clé importante de la confiance en soi est la préparation. » Arthur Ashe

La confiance flexible : entre identité, vulnérabilité et intelligence du doute

L’un des aspects les plus contre-intuitifs du paradoxe de la confiance est le suivant : plus un athlète développe une confiance extrême, plus il devient vulnérable.
Cette vulnérabilité ne vient pas d’un manque de compétence, mais de la dimension identitaire que prend la confiance excessive. Lorsqu’un sportif commence à se définir par sa supériorité: «je suis le meilleur», «je ne rate jamais» la confiance n’est plus un état mental: elle devient un pilier de son identité.

Or, la réalité sportive n’est pas stable. Elle fluctue sans cesse: blessures, erreurs techniques, adversaires plus forts que prévu, fatigue, variations de forme, exclusion… Du coup, quand cette réalité contredit l’image que l’athlète se fait de lui-même, la chute psychologique est brutale. Les recherches sur le “choking” (Baumeister, 1984) montrent que plus l’ego est fort, plus l’effondrement peut être violent.

À l’inverse, les sportifs qui intègrent naturellement un certain niveau de doute, développent une meilleure résilience émotionnelle. Le doute, dans sa forme constructive, n’affaiblit pas: il renforce la lucidité. Il encourage la vigilance technique, l’ajustement tactique, l’ouverture au feedback et la prévention de la complaisance (Cleary & Zimmerman, 2001).
Il protège contre les excès de confiance qui mènent à la contre-performance et favorise une progression plus stable, à l’identification de leurs limites, car il repose sur une connaissance fine de soi et non sur une image idéalisée.

Autrement dit, le doute n’est pas l’opposé de la confiance : c’est son régulateur. La confiance pousse à agir ; le doute pousse à réfléchir. Ensemble, ils produisent cette lucidité rare qui permet aux sportifs les plus compétents de prendre les bonnes décisions au bon moment.

En conclusion, la performance durable ne repose ni sur une confiance absolue, ni sur un doute généralisé. Elle naît dans cet espace subtil où l’athlète croit en lui tout en restant humble, attentif et adaptable. Chez Au Mental, nous aidons les athlètes à développer cette confiance souple et intelligente suffisamment robuste pour performer, suffisamment flexible pour apprendre afin de transformer leur potentiel en performances durables.


Références bibliographiques

  • Bandura, A. (1997). Self-efficacy: The exercise of control. New York, NY: Freeman.
  • Baumeister, R. F. (1984). Choking under pressure: Self-consciousness and paradoxical effects of incentives on skillful performance. Journal of Personality and Social Psychology, 46(3), 610–620.
  • Cleary, T. J., & Zimmerman, B. J. (2001). Self-regulation differences during athletic practice by experts, non-experts, and novices. Journal of Applied Sport Psychology, 13(2), 185–206.
  • Martens, R., Vealey, R. S., & Burton, D. (1990). Competitive anxiety in sport. Champaign, IL: Human Kinetics.
  • Roberts, G. C., Treasure, D. C., & Conroy, D. E. (2007). Understanding the dynamics of motivation in sport and physical activity: An achievement goal interpretation. In G. Tenenbaum & R. C. Eklund (Eds.), Handbook of sport psychology (3rd ed., pp. 3–30). Hoboken, NJ: Wiley.
  • Vealey, R. S. (1986). Conceptualization of sport-confidence and competitive orientation: Preliminary investigation and instrument development. Journal of Sport Psychology, 8(3), 221–246.

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